DES CLIPS ET DES CLAQUES (2015-2024)

Dans quoi je me suis embarqué ?? Qu’est-ce que c’était que cette idée moisie de vouloir faire trois sélections de dix clips ou vidéos de groupes angevins pour illustrer les trois décennies d’existence du Chabada ? Si les deux premières sélections m’avaient déjà fait m’arracher quelques cheveux (c’est une expression, hein), la troisième relevait quasiment de la mission impossible. À partir de 2015, toute une génération née avec des outils numériques dans les mains est arrivée avec des idées et une culture de l’image complètement dingues, fabriquant des clips de qualité ultra-professionnelle à tours de bras. Plus je me plongeais dans ces clips, et plus je me prenais des claques. Après moult débats intérieurs, des heures d’auto-fâcheries, quelques nuits blanches et pas mal de résignation, voici donc les dix clips que je retiens pour la décennie 2015-2024, sachant qu’il y aurait pu en avoir des dizaines d’autres qui auraient aussi bien pu faire l’affaire. Mais ça sera à vous d’aller fouiller dans les limbes de ce site pour les (re)découvrir…

Kalcha

DARIA Margins
2015
Réalisateur·rice : Simon Ickx

En 2015, Daria n’est déjà plus ce groupe de minots, fans de Weezer, Les Thugs et Chokebore, qui faisaient du bruit au tout début des années 2000… Bon, ceci dit, ils font toujours du bruit. Mais leur musique s’est alourdie, assombrie. Encore que ce clip de “Margins”, tourné sur le parking du Chabada, à deux pas de leur local de répète, ne manque pas de couleurs… Pendant longtemps, Daria sera le dernier vrai groupe de rock à l’ancienne à Angers, dans le sens où on l’entendait quand on parlait de rock angevin dans les 90s. C’est à dire un genre qui avait un peu perdu de sa superbe auprès des nouvelles générations en 2015. Ce morceau est d’ailleurs tiré de “Impossible Colours”, leur dernier album en date, avant de s’embarquer dans la belle aventure LANE avec une partie de la famille Sourice. Mais comme l’avait prédit un philosophe en shorts, “la routourne tournera”, aujourd’hui de nouveaux jeunes groupes de rock commencent à faire parler d’eux, et le bruit circule depuis quelques semaines d’un imminent retour aux affaires de Daria (avec une plus petite partie de la famille Sourice). On prépare le parking…

CHERRY PLUM How Strange Is The Man
2016
Réalisateur·rice : Helena Cotinier

Je suis allé fouiller dans mes archives, et j’ai retrouvé ce que j’avais écrit dans le Yéty (le magazine sur l’actu des groupes locaux, alors encarté dans le programme du Chab’, ancêtre de la rubrique Le Mag’) sur ce morceau de Cherry Plum à la sortie de leur deuxième EP en 2016. Je ne ferai pas mieux aujourd’hui, donc je copie/colle : “Il était une fois dans l’Ouest (de la France) un duo fasciné par les grands espaces américains et les musiques qui s’en inspirent. C’est donc assez logiquement que Cherry Plum s’en est allé clipper son nouveau single «How Strange Is The Man» à Los Angeles, au terme d’un road-trip à l’ancienne à travers les USA. Le résultat est magnifique et fidèle à l’image de ce nouvel EP qui fleure bon le vent poussiéreux, la chaleur écrasante et la téquila frelatée. Revisitant l’americana à la sauce indé, Cherry Plum s’inscrit donc dans la lignée des Calexico, Wilco, Mark Lanegan ou Neil Young. Mais le duo angevin n’a absolument pas à rougir de sa position, il sait lui aussi installer une ambiance en quelques secondes. La voix traînante de crooner (parfois pas si éloignée de Chris Isaak) vous téléporte ainsi instantanément dans un vieux juke joint, où quelques cowboys accoudés au bar prennent la poussière, tandis qu’une serveuse sans âge pose sa cafetière sur votre table sans même vous adresser un regard. L’Amérique profonde. Celle qui ne rêve plus depuis un bail. Mais qui a su conserver sa beauté hors du temps.”

REZINSKY Bartabas
2017
Réalisateur·rice : Simon "Smoh" Higelin

Personne ne l’a vu arriver. Oh, on l’avait bien dans un coin du viseur, quand il faisait des raps à la cool dans son coin, un peu jazzy, un peu funky, sous le nom de Pepso Stavinsky, mais rien ne le prédestinait à revenir ainsi en mode malpoli bien hardcore, avec le beatmaker rennais RezO sous le nom de Rezinsky. Et surtout avec pas mal de potes vidéastes ultra-talentueux dans son giron. Du coup, ça a donné un paquet de clips percutants pour des morceaux qui ne l’étaient pas moins, montant soudainement la barre du niveau général d’exigence à Angers de plusieurs crans. Vous en avez un bel exemple avec ce “Bartabas” complètement WTF avec sa teuf décadente, son montage épileptique, son ambiance entre punk et esthète, qui positionnera Rezinsky comme chef de file de la nouvelle scène rap à Angers. Une fois les choses lancées sur orbite, le rappeur a laissé ses disciples (Odor, Joh Berry…) finir le travail, et il s’en allé se réinventer en un personnage electro-pop bubblegum sous le nom de Stav.

SAN CAROL Cancer
2018
Réalisateur·rice : Nathan Houée

Sans exagérer, je pense que ce “Cancer” est le morceau que j’ai le plus écouté en 2018. Et son clip lynchien n’y est sans doute pas étranger. Totalement kitsch et décalée, l’ambiance des images mettent encore plus en valeur la beauté hypnotique de la chanson, je trouve. Ce passage repris en chœur sur le fin, putain… Abandonnant les expérimentations synthétiques du premier album, puis le krautrock tubesque du deuxième, San Carol explorait alors dans “Houdini”, son troisième LP, une pop raffinée et aérienne, pas encore complètement shoegaze (comme semble se dessiner le quatrième album bientôt disponible), mais terriblement addictive. Les trois loustics qui l’accompagnaient alors bricolaient de jolies choses de leur côté également sous le nom de VedeTT, et c’était une période où une nouvelle génération de musicien·nes était en train de s’imposer dans le paysage musical angevin.

LOIRE VALLEY CALYPSOS (THE) Snake
2019
Réalisateur·rice : Loire Valley Calypsos (The)

Il y a aussi une ambiance très cinématographique dans ce clip de The Loire Valley Calypsos, mais on serait plutôt du côté OSSien de Michel Hazanavicius. Mais il faut peut-être expliquer d’où sort le groupe ? Il y a quelques années, du côté d’Angers, un one-man-band de blues connu sous le nom de Bud McMuffin fouillait le net en quête d’infos sur le bluesman Blind Blake. Une seconde d’inattention l’emmena sur le disque d’un homonyme, joueur de goombay, le calypso des Bahamas. Ce fut le coup de foudre instantané. The Loire Valley Calypsos naquirent donc dans la foulée, d’abord en trio acoustique et traditionaliste avec deux membres débauchés de Cherry Plum, puis rapidement en quatuor électrique, et aujourd’hui carrément en quintet de pop globe-trotteuse (si l’on en croit les nouveaux morceaux du prochain album entendus ici ou là). Le morceau “Snake” est tiré du deuxième album du groupe (dans sa version en quatuor donc) et louche déjà pas mal sur une pop rétro, fun et groovy. Les gens de goût auront remarqué, parmi d’autres visages connus de la scène locale, que le méchant du clip est joué par le crooner The Forsaken Shadow (qu’il faut aussi aller écouter).

GONDHAWA Cayömè
2020
Réalisateur·rice : Matthias Eyer

On reste en terres cinématographiques, mais plutôt dans l’univers de Michel Gondry. Et c’est une constante dans les clips de Gondhawa, tous géniaux, avec ces images bricolées à la main, toujours inspirées, drôles et poétiques, et qui collent surtout parfaitement avec la musique apatride du trio. Leur rock psychéxotique, chanté dans une langue imaginée, tire en effet un trait d’union entre le stoner californien et les musiques ethniques (utilisation de plusieurs instruments à l’histoire ancestrale comme le sanxian de Chine, le kamele n’goni d’Afrique de l’Ouest…) dont l’étrange résultat a déjà séduit, entre deux tournées à l’étranger, tout autant le festival Levitation que les Transmusicales de Rennes, décrochant même une session-live pour la mythique radio de Seattle KEXP. Bref, Gondhawa ne ressemble à personne d’autre, et c’est pour ça qu’on les aime !

VAPA Deep (feat. I Am Stramgram)
2021
Réalisateur·rice : Perrine Drouillet

Je vous disais en introduction que cette décennie 2015-2024 avait connu un véritable boom qualitatif et quantitatif en matière de vidéo-clips. Ce n’est donc pas un hasard si Le Chabada avait lancé, en partenariat avec le festival Premiers Plans, le premier concours “Clips d’Ici” en 2016… C’est d’ailleurs ce clip de VAPA qui a gagné le prix du jury sur l’édition 2021, réalisé par sa VJ Perrine Drouillet. Et il faut bien reconnaître que les animations pleines de poésie et de grâce de Perrine collent à la perfection à cette magnifique pop song électronique, en duo avec le chanteur à la voix langoureuse I Am Stramgram. Si “Cancer” avait été ma chanson de 2018, celle-ci doit tourner autour du podium pour 2021…

MICHELLE ET LES GARÇONS Bizarre
2022
Réalisateur·rice : Sarah Dumesnil

Ce clip-là aussi a fait son petit effet quand il est sorti en 2022. J’ai même été sacrément surpris qu’il ne gagne aucun prix au “Clips d’Ici”… Le nom de Michelle et Les Garçons circulait déjà depuis plusieurs mois dans les milieux autorisés mais il n’y avait encore pas grand chose à se mettre sous l’oreille ou la pupille, hormis une live-session effectivement très prometteuse pour Capharnaüm. Quand “Bizarre” est enfin sorti, il a donc fallu se rendre à l’évidence : le trio n’était pas là pour faire de la figuration. Un univers visuel très fort, maîtrisé dans les moindres détails, des références 80s assumées, une chanteuse ultra-charismatique, et une chanson terriblement efficace, il y a là tout le potentiel pour taper un grand coup.

NERLOV Quel dommage
2023
Réalisateur·rice : Josic Jegu

J’avais parié sur lui pour le “Clips d’Ici” 2023. J’ai gagné. Enfin, plutôt lui, quoi. Le Prix du Public. Pour la deuxième fois en plus, après “Prophéties” en 2021 (morceau qui a d’ailleurs généré quelques longues explications entre quatre yeux avec moi-même pour cette sélection). On vous a parlé un peu plus haut de VedeTT, c’est de ce groupe que s’est échappé en solo Nerlov. Le premier album du moustachu sort dans quelques jours, et la floppée de singles qui ont annoncé sa sortie étaient tous excellents avec de super clips, ça sent donc très bon (en plus, en vrai, je l’ai déjà écouté, et je peux vous le dire, c’est de la balle !). Bref, avec “Quel dommage”, Nerlov s’adonne à son hobby préféré : ricaner de l’état du monde, pour éviter d’avoir à en pleurer. Et il trouve en sus une chorégraphie tellement minimaliste qu’elle en deviendrait facilement virale.

GRISE CORNAC Mon Amour
2024
Réalisateur·rice : Quentin Chevrier et Aurélie Breton

Le nouvel album de Grise Cornac, attendu pour le printemps de l’an prochain, promet d’être un des grands événements musicaux de 2025. C’est en tout cas ce que suggère dès aujourd’hui ce premier single tout frais sorti, absolument magnifique, et clippé personnellement par le duo (ces gens-là savent décidément tout faire !). On y croise donc deux Bonnie & Clyde de supérette, manifestement mieux armé·es pour le Grand Amour que pour les petits bracos, et dont les regards enamourés forment de véritables sas d’entrée vers la mélodie de piano lumineuse de Quentin et les mots ciselés d’Aurélie. Il y a eu des millions de chansons qui parlent d’amour. Il n’y en a pas tant que ça qui donnent envie de tomber amoureux·se.